L’article de ODIEP traite de la manière dont les technologies numériques influencent nos capacités de lecture et de mémorisation.
L’utilisation de nouveaux outils numériques modifie-t-elle notre capacité de compréhension, l’activité par laquelle nous acquérons et utilisons des connaissances ?
“Les mécanismes de la compréhension de texte”.
Comprendre suppose d’élaborer une représentation basée sur une interprétation des informations textuelles mise en relation avec nos connaissances antérieures. Le modèle de compréhension de texte de Kintsch & van Dijk formalise trois niveaux de représentation : le premier niveau de surface, correspond à notre capacité à nous rappeler d’un mot lu dans le texte, sans que le sens ne soit pris en compte ; le deuxième niveau correspond à l’intégration du sens des phrases de façon indépendante ; le troisième niveau, appelé le modèle de situation, rend compte de la capacité du lecteur à élaborer une représentation qui est le produit de l’interaction entre ce qu’il lit et ses connaissances antérieures. C’est la sa capacité à produire des inférences.
Prenons un exemple pour comprendre ce que sont ces inférences. Imaginez que vous deviez répondre à la question « Où Anaïs et Julien se trouvent-ils ? » dans le texte qui suit : « Samedi, Anaïs et Julien ont vu des lions et des tigres. » La première inférence qui émerge à la lecture de cette phrase grâce à nos connaissances est très probablement le zoo. Ajoutons maintenant la phrase « Puis le clown les a beaucoup fait rire. » L’inférence produite suite à la lecture de la phrase initiale doit être inhibée, au profit d’une nouvelle inférence situant nos deux protagonistes probablement au cirque. Concluons à présent le texte
Avec la phrase « Maman leur a alors demandé d’éteindre la télévision pour aller se coucher. » Là encore, une nouvelle inférence est mise en place : ils étaient chez eux depuis le début. Comprendre suppose donc la mise en place de différents traitements cognitifs en parallèle : mémoire, flexibilité mentale, mise à jour des informations, inhibition.
La capacité de prise d’information visuelle est réduite sur écran
La fatigue du « scrolling »
D’une manière générale, nous pouvons intuitivement considérer que lire sur écran ou sur papier ne modifie pas notre capacité à comprendre un texte : indépendamment du support, il s’agit toujours de décoder des signes graphiques pour leur attribuer une signification.
Toutefois, la lecture sur écran suppose de prendre en considération les caractéristiques ergonomiques des supports de lecture (taille, luminosité, contraste, etc.) et les caractéristiques du lecteur.
Une récente méta-analyse qui propose la compilation des résultats de 44 études menées auprès de plus de 170000 participants portant sur les effets du numérique sur la lecture nous indique que, globalement, la compréhension est négativement impactée par la lecture sur support numérique comparé à la lecture sur papier.
Les études ne permettent pas d’identifier de différence entre les deux supports en termes de compréhension dans le cas où on consulte des textes en plein ou sans faire défiler le texte.
Le « scrolling » perturbe le fonctionnement de notre mémoire spatiale
En effet, lorsque nous lisons sur écran, nous utilisons un procédé de « scrolling » qui consiste à faire défiler verticalement les informations lues. Il est très difficile de retrouver une information, un mot ou une phrase, après avoir fait défiler le texte : les mots n’apparaissent plus à la même place.
Sur le papier, leur position spatiale ne change pas. Le « scrolling » perturbe le fonctionnement de notre mémoire spatiale. Le repérage de la position des mots dans le texte (localisation spatiale des mots) est notamment utile pour revenir rapidement sur les mots de texte, processus indispensable pour la compréhension.
D’autre part, le rétroéclairage des écrans sur lesquels nous lisons, qui implique la projection d’une source lumineuse vers l’utilisateur, n’est pas sans conséquence sur notre capacité à lire les informations. Plusieurs études ont mis en évidence son effet néfaste sur la lecture. La capacité de prise d’information visuelle est réduite sur écran, et nécessite davantage de fixations oculaires lors de lecture des textes. Il en résulte une fatigue visuelle accrue, associée à différentes symptômes (maux de tête, migraines chroniques, etc.), notamment lorsque l’activité de lecture est prolongée ou effectuée sur des écrans de mauvaise qualité (avec un mauvais contraste entre fond et lettrage, lettrages irréguliers réfléchissant l’encombrement visuel). Ces facteurs d’alertes ne sont pas rares dans les écrans qui utilisent une qualité de rétroéclairage insuffisante.
En conclusion, si les outils numériques présentent des avantages indéniables, des améliorations ergonomiques semblent nécessaires pour optimiser les supports de lecture et les rendre plus compatibles avec les aptitudes cognitives. À titre d’exemple, les filtres anti-lumière bleue, supposés diminuer les effets néfastes associés à l’utilisation des écrans, ont une efficacité contrastée. Malgré tout, les recherches, en raison des usages de technologie en évolution rapide, nous apporteront des prochaines années de nouvelles données sur l’influence des écrans sur notre capacité de lecture.
AUTEURS:
Alexandre de LAMAZIERE, Directeur ODIEP
Xavier Aparicio, maître de conférences HDR en psychologie cognitive, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Ugo Ballenghein, maître de conférences en psychologie cognitive, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)